Naissance de la taille du diamant à l’échelle industrielle IV | FR

L’hiver de 1890-1891 fut si rigoureux que l’Escaut se gela complètement, permettant non seulement le passage à pied d’une rive à l’autre mais aussi d’organiser une fête foraine en son milieu.

Ce fut aussi une période de crise dans le secteur diamantaire suite à la lutte de puissance entre le grand trust De Beers et les petits producteurs.  
 
En 1890 De Beers signa un contrat de vente avec dix sociétés londoniennes, parmi celles-ci Bernato Bros (dont De Beers avait racheté les mines en 1888) et la Beit Company, mais la guerre des Boers faisant rage, la production est paralysée.  
La crise sévit aussi dans le port où toute activité est paralysée par le gel. C’est la mendicité la plus horrible, il n’y a pas d’allocations de chômage, bien que quelques associations de bienfaisance collectent des vivres et du charbon chez les plus nantis. Des centaines d’ouvriers du port et du diamant essayent aussi de gagner quelques sous, la pelle et le balai sur l’épaule, avec des travaux de déblaiements de neige et de glace devant les maisons bourgeoises.  
 
Malgré tout quelques moulins tournent tant bien que mal, taillant des petites marchandises de très mauvaise qualité, l’ouvrier taillant pour un salaire de misère. Certains essayent de gagner un surplus en « échangeant » les petites pierres, mais celle-ci étaient déjà de si mauvaise qualité que cela n’en valait vraiment pas la chandelle. Plusieurs quittèrent le métier, bien que les autres secteurs ne soient pas beaucoup plus attrayants, certains quittèrent définitivement la taille du diamant.  
 
Une taillerie importante avec maison de maître construite en 1870 dans le centre ville fit banqueroute, mais fut rachetée en 1891 par un certain Boxhorn d’origine Russe. Un personnage bizarre, parlant couramment le Russe et le Français et nous supposons l’Anglais, mais à peine quelques mots de Flamand ; avec des allures de grand seigneur il s’installa comme fabricant-diamantaire. C’était une bonne nouvelle, après cette rude période, donnant espoir de survie aux tailleurs. L’espoir était encore plus grand car l’usine ne taillerait que les plus belles pierres de 1 à 8 carats et même plus.

Malheureusement le désenchantement suivit rapidement sous forme d’un règlement de travail stipulant que l’usine ouvrirait ses portes à 6,30h et à 7,30h les portes seraient fermées jusqu’à 12h ; elles se refermeraient à 13h pour s’ouvrir de nouveau à 19h ou plus tard selon le travail. En d’autres mots, les tailleurs de Monsieur Boxhorn étaient « prisonniers » dans l’usine. La compensation était que les tailleurs n’avaient jamais vu de telles marchandises, de couleur « blanc-bleu », certaines bleu foncé et d’une pureté exceptionnelle. C’était les plus belles marchandises du Cape (Afrique du Sud). Le travail venait par séries de plusieurs dizaines de pierres devant êtres terminées en même temps, le travail devait être fait en entreprise, ce qui veut dire payement à la pièce. En plus le tailleur devait prédire à l’avance combien de pierres il pouvait terminer en un temps limite, ce qui entraîna le plus souvent du travail de nuit jusqu’à ce que le lot soit terminé.  
 
Suivi d’un nouvel arrivage de lots importants pour lesquels il fallait faire à nouveau des prédictions. Si le travail ne manquait pas, les salaires ne furent pas payés, à peine un petit accompte de temps en temps si le tailleur était à bout de ressources. Afin de maintenir le personnel sous pression, le patron redonna certaines pierres pour « rectification ». Cette situation força les ouvriers et les contremaîtres à des pratiques douteuses e.a. changer les pierres. Des marchandises furent échangées, semi taillé, taillé en croix, en huit/huit, avec des négociants extérieurs mafieux, prenant de gros bénéfices. Des pierres de plus d’un carat et de haut de gamme furent ainsi vendues entre 180 et 300 FB (4,46 à 7,44 €).  
 
Les beaux diamants furent finalement mal taillés avec une perte bien supérieure à la normale, si bien que le patron décida de donner des amendes à ceux qui allaient « trop loin ». Une nouvelle mode de bijoux fut créée employant des disquettes épaisses de diamants facettés sur les bords, ce qui causa encore beaucoup plus de perte de poids. Les disques furent perforés et enfilés pour fabriquer des colliers.  
La situation dans l’usine devint tellement absurde, d’une part un patron vivant comme un pacha et d’autres part des ouvriers non payés, que des chansons populaires y furent consacrées.  
 
Finalement la rumeur se confirma que Boxhorn avait été engagé par la De Beers pour obtenir un contrôle sur la taille tout comme il l’avait fait pour les mines. L’expérience se termina en fiasco tout comme la deuxième tentative une petite centaine d’années plus tard. Effectivement la De Beers se lança dans le clivage et le sciage en 1974, connus sous le nom de la fameuse « intégration verticale », qui se termina elle aussi quelques années plus tard par un fiasco.  
 
Eddy Vleeschdrager