Grandeur et décadence d’un centre diamantaire | FR

Le touriste qui visite le centre de la ville d’Amsterdam est émerveillé par les canaux, les maisons typiques et l’ambiance particulière.

Une autre attraction que la ville exploite depuis près d’un siècle est sa position comme centre mondial du diamant. Bien que la capitale de la Hollande soit La Haye où siège le gouvernement Hollandais.
 
Il y a 400 ans Amsterdam était un centre diamantaire grâce à son port où les bateaux de la « Oost Indische Maatschappij », Compagnie des Indes Orientales, chargés d’épices, de soieries et de pierres précieuses déchargeaient leurs précieuses marchandises. Leurs bateaux croisaient les mers ramenant aussi bien les esclaves d’Afrique en destination pour l’Amérique que les pierres précieuses des Indes et de Bornéo.
 
Le petit pays rivalisait avec les autres puissances maritimes de l’époque, la Grande- Bretagne, l’Espagne et la France.
Mais c’est surtout l’inquisition qui fit fuir les négociants juifs et les tailleurs protestants, calvinistes et luthériens d’Anvers vers Amsterdam qui lui a donné son essor.

Lors des découvertes des mines du Brésil, les Hollandais conclurent un accord avec la maison Royale du Portugal pour l’exclusivité de la production diamantaire. Accord qui fut résilié au courant de la deuxième moitié du 18ième siècle par le banquier anglais Henri Hope. Ainsi Londres devint déjà un centre du négoce du diamant brut.
 
C’était aussi la période où le diamantaire Gildemeester acheta à Londres de grandes quantités de diamants brut de provenance des Indes, de Bornéo et du Brésil pour les revendre à Amsterdam aux tailleurs Amstellodamois selon un système de quota : les premières « vues » (qui ont probablement inspiré la De Beers un siècle plus tard). Les mines du Brésil produisant peu face à la demande des bijoutiers et du potentiel de tailleurs mis au chômage, la situation se redressa grâce aux découvertes d’Afrique du Sud au cours des années 1870.
 
En 1881 sous l’impulsion de e.a. J.Assedic la première bourse du diamant est inaugurée sous le nom de « Centraal Diamanthandelsbond » dans le bâtiment nommé « Casino ». L’association connu un succès tel qu’elle fut obligée de refuser des membres, 8 ans plus tard la « Beurs voor Diamanthandel » (bourse du diamant) fut créé. Une bourse avec une infrastructure moderne, sécurité, pesage, coffre-fort garantissant aux membres un lieu de travail adéquat.
 
Les diamantaires se groupent sous le nom de Algemene Juwelliers Vereniging (union des bijoutiers) en 1896, tandis que les ouvriers se groupèrent deux ans plus tôt sous le nom de l’Algemene Nederlandse Diamantbewerkersbond (syndicat des tailleurs de diamant Hollandais) en 1894.
 
Lors de la première guerre mondiale et surtout lors de la grande crise qui suivit, une grande partie du négoce et de la taille déménage vers Anvers. C’était surtout suite à 3 grands facteurs : L’inflexibilité du syndicat ANDB, l’infrastructure bancaire et la pression fiscale.
 
En 1908 le syndicat ouvrier comptait environ 9000 membres répartis sur 70 ateliers et 8000 moulins (il y avait aussi des cliveurs, scieurs et débruteurs) et l’association de bijoutiers 120. En cette période Anvers comptait environ 3500 tailleurs. Lors du Congrès de l’Alliance Universelle des Ouvriers Diamantaires de 1928 à Stuttgart, Amsterdam n’en a plus que 6500 et Anvers compte déjà plus de 15000 tailleurs.
 
D’autres centres avaient aussi une petite industrie diamantaire tels que New York (Diamond Worker’s Protective Union) avec 350 ouvriers, l’Allemagne (groupée sous la Deutscher Metallarbeiterverband) avec 450 ouvriers principalement à Hanau, Erbach et Idar-Oberstein, l’Angleterre (The Society of Goldsmith, Jewellers and Kinderd Traders) avec 18 ouvriers, la Suisse (Schweizerische Metall-und Uhrenarbeiter Verband) avec 40 ouvriers et la France (La Chambre syndicale des ouvriers diamantaires) principalement à Saint Claude et 1184 ouvriers.
 
Depuis cette date, la situation s’aggrave pour Amsterdam. La 2ième guerre mondiale balaie plus de 80% des négociants juifs, déportés en Allemagne, plusieurs s’enfuient vers Cuba, le Brésil et New York. Lors de la fin des hostilités certains reviennent avec leurs ateliers, parmi eux la famille van Moppes avec 17 caisses de matériel de taille. Les diamantaires Asscher, Coster, Batavier, Gassan, Slijper tentent de faire revivre le centre diamantaire. Mais l’industrie quitte le pays vers des cieux plus cléments à Anvers où les syndicats socialistes (centre ville) et catholiques (principalement en campine anversoise) sont moins exigeants et plus souples. En 1953 l’ANDB annonce une grève qui dure 13 semaines et sonnera ainsi le glas de l’industrie hollandaise. Le système bancaire n’était plus adapté à la situation et l’évolution du secteur, tandis qu’à Anvers quelques banques se réunissent pour créer la Banque Diamantaire Anversoise spécifiquement adaptée aux diamantaires négociants et fabricants. Finalement le gouvernement Hollandais donne le coup de grâce avec une pression fiscale et une poursuite aux sorcières qui fait fuir les derniers diamantaires de Hollande.
 
Si bien que l’on peut parler d’une « invasion » hollandaise. Les Belges calculant en francs belges et les Hollandais en florins, ceci entraîna rapidement d’interminables discussions. La solution fut trouvée par la création d’une monnaie purement fictive : le florin diamantaire qui valait 20 francs belges. Toutes transactions de diamants bruts ou taillés, commissions des courtiers, salaires des artisans étaient calculés en florins. Ce n’est qu’à la fin des années 80 que le florin disparut pour être remplacé par le dollar.
 
Épilogue
 
Amsterdam à définitivement disparu comme centre diamantaire, il ne reste plus que quelques bijoutiers, avec de petites tailleries « show room », profitant de la gloire passée pour vendre aux touristes. Dans d’autres régions de Hollande, il reste une petite activité dans les applications du diamant industriel. Mais que va-t-il se passer à Anvers, où nous voyons malheureusement la néfaste « trilogie » se répéter.
 
Dans les années 70 à 80 les syndicats n’ont pas voulu accepter une flexibilité concernant les heures de travail. Les diamantaires et les tailleurs étaient poursuivis en correctionnelle pour quelques minutes de travail en dehors des heures fixées, créant ainsi un handicap pour l’automatisation du secteur de la taille. Ceci provoqua e.a. un exode vers les pays à bas salaires.
 
Les banques : il y a une vingtaine d’année, le centre diamantaire comptait plus de cinq banques et une dizaine d’agents de change. Actuellement il ne reste plus que 2 banques spécialisées.
 
La pression fiscale plus que « musclée » des derniers mois est encore plus spectaculaire que celle qu’a connu Amsterdam et a ainsi obtenu l’attention de tous les médias belge et étranger.
 
D’autres centres se pressent pour prendre la relève tels qu’Hong Kong et Dubaï, car ils réunissent la fameuse trilogie : une multitude de banques à disposition, une fiscalité extrêment douce ou inexistante et une main d’œuvre spécialisée et flexible.
 
La question est : est-il encore temps pour sauver Anvers ? Après 5 siècles d’histoire souvent tumultueuse Anvers a toujours pu se relever. Malgré la perte de plus de 30.000 tailleurs du temps des « golden sixties », le secteur représente malgré tout encore 7% des exportations de la Belgique et 12% de la Flandre, près de 2000 firmes sont encore actives donnant du travail à environ 20.000 personnes directement et indirectement. Anvers, berceau de la taille du diamant, va t - elle garder sa place de centre diamantaire tant convoité ?
 
Eddy Vleeschdrager